Un peu d’histoire
L’église Saint-Jacques à Liège est sans conteste un des édifices religieux les plus exceptionnels de Wallonie. Il constitue à lui seul un témoin complet et vivant de l’histoire de l’architecture de nos régions. La partie principale de l’édifice est une construction du 16e siècle en style gothique flamboyant, précédée d’un avant-corps du 12e siècle, dernier vestige, avec la crypte du 11e siècle, de l’édifice primitif de l’époque ottonienne. L’accès principal de l’église est un merveilleux porche Renaissance du 16e siècle s’ouvrant à l’extrémité du collatéral nord. Comme bien d’autres, le monument a subi quelques modifications restées superficielles aux 17e et 18e siècles, principalement pour son décor, mais elles ont pratiquement disparu lors des restaurations. L’approche de ce bâtiment ne peut faire oublier les nombreuses campagnes de travaux qu’il a subies tout au long des 19e et 20e siècles. Les pinacles sur les contreforts en sont une des expressions les plus visibles.
En poursuivant l’oeuvre de Notger, son illustre prédécesseur, l’évêque Baldéric Il fonde, en 1015, l’abbaye de Saint-Jacques à l’extrémité de ce qui était une île, endroit sauvage isolé par les bras de la Meuse. L’église achevée est consacrée en 1030. Suivent alors l’aménagement des cloîtres et celui des autres dépendances du monastère, dans le respect de la règle de saint Benoît qui recommande à toute abbaye de se suffire à elle-même en groupant à l’intérieur des encloîtres un moulin, un jardin et des ateliers pour les divers métiers. En 1052 le monastère est complètement achevé. Grand centre intellectuel au 12e siècle, la construction primitive est encore augmentée par l’abbé Drogon, vers 1170, par un imposant avant-corps en grès houiller d’extraction locale. La question reste ouverte de savoir si cet avant-corps était précédé ou non d’une construction antérieure.
Cette partie de l’église primitive du 12e siècle existe toujours et est assez exceptionnelle en soi, même si elle a subi les outrages du temps et a perdu une partie de ses qualités originelles par des travaux de restauration un peu trop radicaux. Construit sur un plan tripartite et s’élevant sur trois étages, l’avant-corps ne présente plus aujourd’hui qu’une des trois tours qui le couronnaient jadis. Il s’agit de la tour centrale, octogonale, posée sur un socle carré. Chaque face de cet octogone est percée de baies géminées dont le plein cintre s’appuie sur d’élégantes colonnettes. Par endroit, celles-ci ont conservé leur fût monolithe en pierre noire basaltique. Les chapiteaux à large feuille d’eau et les bases attiques de ces colonnettes sont caractéristiques de l’époque. Un oculus est ouvert au tympan en plein cintre au-dessus de chaque baie et surmonté d’un fronton triangulaire marqué par un cordon de billettes fort proéminent. Ces frontons étaient ouverts primitivement d’une petite baie en plein cintre, remplacée tardivement par une meurtrière.
Les combles actuels de l’église gothique protègent trois pans de l’octogone sur lesquels on distingue encore aisément les marques d’assemblage qui se répartissent aux extrémités des pierres de la frise sous le fronton triangulaire. Les deux tours latérales carrées, qui ont disparu définitivement dans la seconde moitié du 17e siècle, devaient être fort semblables à celles de l’église Saint-Barthélemy à Liège datant de la même époque. Elles ont été remplacées par un exhaussement en briques peu heureux, avec un double appentis qui protège efficacement l’étage intérieur de cet avant-corps. On accède à cet étage par deux escaliers en vis englobés dans l’épaisse paroi des murs, aux angles. Les trois parties du rez-de-chaussée de l’avant-corps sont voûtées par des croisées qui s’appuient sur des doubleaux et des formerets brisés, dont les pierres des voûtains sont aujourd’hui apparentes. Ce n’était certainement pas le cas à l’origine. Les parements intérieurs sont également apparents mais cette mise à nu est le résultat de restaurations intempestives. De surcroît, en 1892, l’architecte gantois Auguste Van Aasche ouvre un portail néo-roman dans le côté sud de l’avant-corps en le transformant en un pseudo narthex, ce qui ne fut pourtant jamais sa destination.
Les témoins conservés au-dessous du choeur actuel de l’église, c’est-à-dire les vestiges d’une crypte et ses aménagements latéraux, permettent de penser que dès le 11e siècle, l’église Saint-Jacques à Liège était un lieu de pèlerinage fréquenté. Les fouilles réalisées par Monsieur Florent Ulrix au début des années septante lors du remplacement du pavement et de l’installation d’un nouveau chauffage, sont révélatrices à ce sujet. On sait trop combien le commerce des reliques était florissant à cette époque, et le fameux épisode qui implique le moine Robert dans le rapatriement d’un fragment de relique du grand saint Jacques de Compostelle est significatif à cet égard. Il témoigne, entre autres, de cette intention de confondre saint Jacques le Mineur qui est bien le patron de l’église de l’abbaye liégeoise, avec le succès du saint ibérique. La crypte est grande de trois travées et d’une large abside, et comporte des niches latérales avec banquettes. Elle abritait entre autres le tombeau de l’évêque fondateur du monastère, Baldéric Il. Elle était sans doute couverte de croisées d’arêtes qui ont disparu avec l’abaissement du niveau du choeur de l’église au 16e siècle, cette crypte étant alors désaffectée.
Du 12e au 15e siècle, l’abbaye de Saint-Jacques à Liège, comme ses consoeurs mosanes, connaît des périodes fastes puis des périodes de déclin qui alternent au gré de l’histoire, des opportunités et de l’ascendant des abbés qui dirigent le monastère. Au demeurant, l’abbé de Saint-Jacques est considéré comme un grand personnage de la principauté, sans doute parce que c’est dans cette église qu’est signée en 1287 la « Paix des Clercs » et plus tard, en 1343, la « Lettre de Saint-Jacques » qui rétablit certains privilèges et certaines libertés. Pendant ce 14e siècle, on entreprend la construction de nouveaux cloîtres, mais c’est sans compter sur le mauvais sort qui frappe l’abbaye, incendie (1369), inondation (1374) et foudre (1392) qui n’arrêtera cependant pas la détermination des moines.
En 1418, grâce à un don considérable d’Englebert de la Marck, sire de Loverval et parent du prince-évêque, la reconstruction de l’église est entreprise dans un style qui correspond mieux aux goûts de l’époque, c’est-à-dire en style qualifié aujourd’hui de « gothique ». Les travaux commencent par le nouveau choeur, plus large, construit autour de l’ancien. Mais en 1421, les travaux sont interrompus à hauteur des fenêtres par faute de moyens financiers. Aujourd’hui, même un examen minutieux de l’édifice, ne permet pas de distinguer cet arrêt de chantier. Les troubles qui agitent la principauté pendant tout le 15e siècle sont peu propices à la poursuite des travaux. Le monastère n’a pas trop souffert de l’invasion des troupes de Charles le Téméraire en 1468, grâce à la présence en ses murs d’Onofrio, légat du pape. A la fin de ce siècle tourmenté, l’abbaye retrouve quelque peu sa sérénité. C’est à Saint-Jacques, en 1487, qu’une imposante assemblée de notables et de clercs établit la fameuse «Paix de Saint-Jacques», qui détermine les conditions de la vie sociale et politique dans la principauté jusqu’au terme de son existence.
Mais l’état de l’église primitive qui n’avait plus reçu les soins nécessaires à son entretien n’a fait qu’empirer. A la fin du mois de juin 1513, la voûte du choeur s’écroule et défonce la crypte en détruisant le tombeau de l’évêque Baldéric. L’épiscopat d’Erard de la Marck (1505-1538) crée un climat favorable à une nouvelle prospérité et au développement des arts dans la principauté. L’abbé Jean de Coronmeuse (1506-1525) est amené par la force des choses à poursuive la reconstruction de la nouvelle église et fait appel pour cette tâche au maître d’oeuvre Aert Van Mulcken. Bien que les traces historiques mises en évidence par le doyen Emile Schoolmeesters et amplifiées par Théodore Gobert au sujet de cet Aert soient difficiles à suivre, cet homme de l’art est communément considéré comme l’auteur du chef-d’oeuvre flamboyant dont s’enorgueillit à juste titre la cité liégeoise, mais aussi peut-être de l’église Saint-Martin et du palais des princes-évêques.
La construction du monument s’achève dès 1528, soit une quinzaine d’années après les premiers travaux de reconstruction, ce qui est très court. Même s’il a subi de nombreuses restaurations, celles-ci sont restées très localisées et n’ont altéré en rien les qualités générales de l’édifice. Il s’organise sur un plan traditionnel en croix latine avec un transept peu saillant. L’église mesure environ 80 mètres de long, sans compter l’avant-corps, 39 mètres de large au transept, et 26,50 mètres de large pour les nefs. Il n’est pas parfaitement orienté vers l’est, mais peu s’en faut. Par conséquent, il est pleinement exposé aux inconvénients météorologiques de notre zone tempérée, les pluies battantes meurtrissant particulièrement les faces sud et ouest. Les matériaux employés pour cette reconstruction sont différents de ceux de l’époque ottonienne. Il se peut qu’une partie des moellons de grès houiller de l’édifice primitif aient été remployés dans le blocage des murs principaux, mais le parement de ceux-ci est bien constitué d’une belle pierre bleue calcaire provenant de la vallée de la Meuse. Pour certaines parties, notamment à l’intérieur, le tuffeau de Maastricht a été employé pour ses qualités de légèreté et de mise en oeuvre, mais aussi parce que cette pierre présente une fine couche compacte à sa surface, le calcin, qui la protège. Les pignons du transept sont en tuffeau ainsi que tous les réseaux de fenêtres et les nervures des voûtes, étant donné les facilités que cette pierre offre pour la tailler. Au 19e siècle, à Saint-Jacques comme ailleurs, les restaurateurs ont employé du «petit granit», autre pierre calcaire mais qui présente un moins bel aspect, sa patine étant plus grise, plus foncée et plus terne. Enfin, l’imposante charpente originelle qui compte vingt fermes sur l’axe longitudinal est en chêne du pays. Elle a dû être doublée au cours des années 60 d’une charpente métallique, étant donné le poids des voûtes et l’inexistence de reprise des charges de celles-ci par des arcs-boutants.
Les trois nefs, longues d’environ 36 mètres, sont subdivisées en six travées voûtées. Du jubé construit par l’abbé Martin Fanchon en 1602 et qui séparait jadis les nefs du choeur, il ne subsiste plus aujourd’hui que deux autels en style Renaissance, érigés avec les vestiges de ce jubé, qui ferment le fond des nefs latérales vers l’ouest. Les nefs sont séparées par des grandes arcades surmontées d’un pseudo-triforium. Celui-ci masque le mur d’allège des grandes fenêtres hautes qui s’ouvrent jusqu’au départ de la voûte. Ces grandes arcades sont en forme d’arc brisé surbaissé, décoré à l‘intrados d’une double rangée de fleurons tréflés. Elles reposent sur d’imposants piliers carrés composés de six colonnettes engagées, jumelées sur trois des faces et sur la quatrième, vers la nef principale, d’une seule colonne engagée plus épaisse. Ces piliers ont été repris en sous-oeuvre au cours du 19e siècle. Contre ces piliers, en hauteur, sont réinstallées neufs statues dont six sont attribuées à Jean Del Cour qui les a sculptées entre 1682 et 1692 dans un bois tendre de tilleul peint en blanc, deux à Simon Cognoulle (1692-1774) et une, reste anonyme. Les écoinçons des grandes arcades sont décorés de rinceaux en léger relief qui s’enroulent autour d’un médaillon avec une tête en ronde-bosse. Les vingt-quatre têtes représentent des personnages bibliques de l’Ancien Testament. Elles ont conservé longtemps leur polychromie d’origine, par la suite, altérée profondément par les stucs et autres badigeons qui ont recouvert l’intérieur de l’église au 18e siècle.
Le pseudo-triforium qui court tout au long de l’édifice, ne permet pas le passage derrière sa dentelle de pierre raffinée constituée de formes à intrados trilobé, de coeurs allongés alternant avec des rosaces à six lobes en pointe et d’une suite de quatre-feuilles encadrés. Le réseau complexe des fenêtres hautes prolonge ce raffinement en reprenant le même répertoire décoratif. Elles sont subdivisées par un épais meneau central, orné d’un pinacle fleuronné au-dessous duquel les statuettes prévues n’ont jamais été installées. Les travées des bas-côtés traduisent le même esprit que celui de la nef principale. Elles utilisent le même répertoire décoratif et sont en quelque sorte le diminutif des premières. Les doubles arcades aveugles du premier niveau accueillent les stations du chemin de croix sculptées par J. Halkin en 1862-1865. Un pseudo-triforium, semblable à celui de la nef principale mais moins haut, court également le long des murs de ces bas-côtés. Il prend naissance à même hauteur que les baies en arc brisé aplati qui éclairent ces collatéraux.
Le fond de la nef principale est fermé par le très beau buffet d’orgues dû à l’abbé Martin Fanchon en 1600, renouvelé en 1669 par André Séverin. En 1854, l’orgue est remplacé par Arnold Clerinx et remanié encore à de nombreuses reprises jusqu’au 20e siècle. Sa restauration par l’entreprise Schumacher en 1997-1998 et celle de la décoration polychrome du buffet par Jacques et Hugues Folville viennent de rendre tout son éclat à ce joyau. Une frise de statues en haut-relief du 16e siècle, encore marquées d’une profonde tradition gothique, s’étale sous tout le buffet d’orgues. Elles proviennent de l’ancien jubé du chœur érigé par Nicolas Balis comme l’atteste la date de 1538 qui figurait encore au 19e siècle sous le buste d’Isaïe au centre de la composition. Deux baies en arc brisé surbaissé donnent accès directement sur l’avant-corps qui sert de chapelle de semaine.
Le transept non saillant est constitué d’une croisée régulière soutenue par quatre piles composées assez massives, et, de part et d’autre, d’une travée dans le prolongement des nefs latérales, augmentée d’une chapelle. Deux autres chapelles orientées s’ouvrent à la fois sur le transept et sur le choeur. L’élévation de ce transept coïncide pour une large part avec celle de la nef principale, excepté les proportions des baies et l’apparition d’un motif décoratif supplémentaire assez caractéristique de l’architecture gothique tardive dans nos régions, mais aussi en Angleterre et en Allemagne. Il s’agit de triscèles et de quadriscèles formés de la juxtaposition de flammes allongées. Trois arcades en arc brisé donnent accès aux chapelles. Les colonnes engagées qui séparent ces arcades supportent les bustes des quatre évangélistes accompagnés aux chapiteaux sur lesquels ils s’appuient, par les figures symboliques qui leur sont attachées. Ces mêmes bustes sous un dais, servent de support à de belles statues des apôtres réalisées au 19e siècle pour remplacer les statues originales en bois, vendues par un des abbés. Le réseau des immenses fenêtres est complexe mais bien équilibré. Il reprend le même répertoire décoratif que celui des grandes fenêtres des murs gouttereaux en mettant en évidence les triscèles. Les verres translucides de ces baies laissent aujourd’hui passer une lumière uniforme et trop intense, sans rapport avec celle des vitraux colorés qui existaient à l’origine. A l’extrémité nord du transept, la chapelle de la Vierge est divisée en trois travées, chacune éclairée par une baie en arc brisé. Elle accueille le tombeau de l’évêque Jean, personnage quelque peu mythique qui pourrait être l’auteur des premiers plans de l’église primitive. La polychromie de cette chapelle a été reconstituée en 1896 par Jules Helbig. La chapelle du Sacré-Coeur à l’extrémité sud du transept a été aménagée en 1875 par l’architecte E. Halkin de façon identique et symétrique à celle de la Vierge. Elle est en partie installée à l’emplacement de l’ancienne salle capitulaire qui, jusqu’en 1865, prolongeait le bras sud du transept.
Le transept s’ouvre largement sur un choeur profond qui se termine par des chapelles absidiales rayonnantes sans déambulatoire. Le presbyterium, où sont installées les magnifiques stalles du 15e siècle, précède sur deux travées le sanctuaire proprement dit. Au milieu de celui-ci s’élève le maître autel néogothique, réalisé en 1897 par M. Peeters et J. Wilmotte pour remplacer celui de l’époque baroque qui figure sur les gravures des 18e et 19e siècles. Le choeur est la partie la plus ancienne de l’église. Il a été restauré à plusieurs reprises au cours du 19e siècle, notamment vers 1844. Les polychromies ont été réalisées en 1894 par Jules Helbig, avec un certain respect du décor original. Les statues des apôtres qui apparaissaient déjà dans le transept se répètent tout autour du chœur. En tuffeau, elles sont l’oeuvre du sculpteur Eugène Simonis qui s’est inspiré des statues de l’église Saint-Sébald de Nuremberg et qui les a installées en 1846.
Les remarquables vitraux du 16e siècle, sans doute parmi les plus beaux de l’époque pour notre pays, se déploient sur deux niveaux dans les hautes baies en lancettes et confèrent au choeur toute sa somptuosité. Pour les plus précieux, ils datent de 1525 à 1531 et présentent leurs donateurs, les familles de Homes et de la Marck, ainsi que divers saints dont saint Lambert et saint Jacques le Mineur.
De part et d’autre du chœur, des sacristies prolongent les chapelles orientées du transept. Elles sont surmontées de tribunes dont l’accès au sud présente une particularité remarquable et rare : il s’agit d’un escalier hélicoïdal à double révolution. La tradition rapporte que, le 25 juillet, jour de la saint Jacques, les deux bourgmestres de Liège après leur élection, pouvaient accéder ainsi en même temps à la chapelle supérieure pour prêter serment devant une foule innombrable, en évitant toute querelle de préséance. Cette chapelle supérieure a été restaurée par l’architecte Edmond Jamar de 1895 à 1896. Pendant de longs siècles, c’est à cet endroit que l’on conservait les chartes communales de Liège. Les chapelles absidiales qui rayonnent autour du maître-autel sont hexagonales et séparées par les contreforts massifs qui soutiennent les voûtes.
Les voûtes de l’église Saint-Jacques constituent sans doute la partie la plus remarquable de cet édifice. S’il en existe de plus compliquées encore, notamment en Angleterre, nulle part elles ne sont si légères et si gracieuses. Les six travées barlongues de la nef centrale sont couvertes par un treillis arachnéen de nervures formant des voûtains losangés dans la partie centrale. Les points de rencontre des nervures sont dissimulés sous des blasons appartenant aux évêques ou aux abbés qui ont participé à l’édification de l’église. La croisée du transept est couverte par une croisée d’ogives à liernes et tiercerons qui dessinent une étoile octogonale. Les nervures multiples du presbyterium forment une étoile hexagonale; celles du sanctuaire s’organisent suivant une magnifique étoile décagonale dont les branches sont losangées. Cette progression est répétée en diminutif dans les absidioles. La forme hexagonale des chapelles extrêmes engendre une voûte à triples ogives. Celle-ci évolue en forme d’étoile hexagonale aux chapelles intermédiaires pour aboutir, au centre, à une forme semblable, mais dont chaque voûtain triangulaire est lui même subdivisé en trois parties, ce qui porte les compartiments de cette voûte à dix-huit. Les voûtains de la nef centrale, du transept et du chœur sont en briques anciennes, façonnées à la main. Ceux des nefs latérales sont en tuffeau de Maastricht. Les voûtes de l’église sont assurément remarquables par leur structure mais aussi par la polychromie qui les a envahies. Tous les compartiments des voûtes sont décorés de rinceaux polychromes sur un fond gris bleuté qui jouait peut-être le rôle symbolique de voûte céleste. La plupart des rinceaux de la nef centrale s’enroulent autour d’un médaillon. Sur ces médaillons figurent des têtes d’hommes et de femmes anonymes, coiffées de chapeaux ou de casques, des blasons et des dates «1535» et «1537» inscrites dans des phylactères. A la croisée du transept, ce décor est enrichi par une clef pendante en forme de statue à double face de la Vierge à l’Enfant, en chêne polychrome, attribuée à Daniel Mauch. Au presbyterium, c’est une statue de saint Michel préfigurant celle du Christ qui pend au-dessus du sanctuaire, entourée d’anges qui portent les instruments de la Passion. Il ne fait nul doute que la richesse du répertoire décoratif et la mise scène rigoureuse de ces diverses dispositions résultent d’une intention mûrement étudiée et font appel à un symbolisme qui reste à interpréter tant au point de vue thématique que formel.
L’accès à l’église se fait par un vaste porche de trois travées, construit plus de vingt ans après l’église elle-même, entre 1552 et 1558, et qui amène dans l’avant-dernière travée des nefs, au nord. Il est construit en style gothique flamboyant comme le reste de l’édifice. Il présente aussi des aménagements nouveaux, fruits de l’esprit de la Renaissance qui gagne notre région à cette époque. Le porche est précédé d’un élégant portail caractéristique d’un style Renaissance pleinement épanoui qui flirte avec le Maniérisme en témoignant d’une influence italianisante évidente. L’architecte a utilisé tout un répertoire peu fréquent dans nos régions: frontons courbes interrompus, ailerons des niches qui devaient accueillir des sculptures, culots en forme de chapiteaux composites appuyés sur des consoles, ordre composite surmontant un ordre corinthien, et médaillons ovales. Cela aura sans doute suffi pour que la tradition attribue cette oeuvre remarquable d’architecture à Lambert Lombard, la seule figure artistique de notre région à cette époque susceptible, pour certains, d’être l’auteur de ce chef-d’oeuvre. Cette affirmation ne résiste pas à l’examen critique, au stade actuel de nos connaissances. Néanmoins, les qualités et l’originalité de ce portail sont incontestables. Il achève harmonieusement cet édifice exceptionnel qui mérite d’être distingué et qui ferait utilement l’objet de travaux de mise en valeur.
PAQUET, Pierre, dans Le patrimoine exceptionnel de Wallonie, DGATLP, Namur, 2004, p. 334-340.
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